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Elisabeth Leonskaja, l’ardente humilité d’une grande dame du piano

« J’aime les belles choses ! » Elisabeth Leonskaja s’est assise dans l’un des salons du Train Bleu, à la gare de Lyon, à Paris. A 78 ans, la pianiste austro-russe rayonne. Ce matin du mercredi 22 mai, elle arrive de Dijon, où elle a joué la veille les trois dernières sonates de Beethoven. Une voiture l’attend dans une heure, qui la conduira à l’abbaye cistercienne de l’Epau (Sarthe), où elle donnera le lendemain un récital Mozart, Schumann, Chopin et Liszt.
« Je ne choisis pas mes destinations, remarque-t-elle. Mon agenda se remplit peu à peu. Et finalement, c’est un peu l’arythmie. » Quant au choix des programmes, il est le plus souvent spontané. « Il ne faut pas être masochiste, mais il est parfois utile de se mettre un peu en difficulté. La seule chose inutile est la paresse », plaide celle qui a découvert le mot « vacances » (« Pour moi, la chose la plus odieuse dans la vie ») à son arrivée à Vienne, où elle a émigré en 1978.
« La dernière grande dame de l’école soviétique », comme certains l’ont surnommée, fait partie de ces monstres sacrés dont l’humilité et la discrétion sont proportionnelles au talent. Son jeu à la fois puissant, virtuose, généreux, dépourvu de la moindre intention autre que musicale, appartient à la catégorie de ceux que le destin assigne au sacerdoce de leur art. « Je ne sais pas comment j’aurais vécu si je n’avais pas eu la musique dans ma vie, dit-elle avec simplicité. Peut-être que mon âme aurait été vide. »
« Lisa » Leonskaja est née le 23 novembre 1945 à Tbilissi, en Géorgie, où ses parents, de confession juive, originaires d’Odessa, se sont rencontrés après avoir fui la guerre. Sa mère joue du piano et chante. « J’avais une demi-sœur, issue d’un premier mariage de mon père, qui a été internée avec sa mère dans le camp de concentration ukrainien sous domination allemande de Domanievka », raconte-t-elle, sans préciser que 20 000 juifs y seront massacrés de janvier à mars 1942. « Sa mère y est morte, et elle a fini par nous rejoindre. On avait dix-huit ans de différence. »
Les beaux yeux clairs d’Elisabeth Leonskaja ne cillent pas. C’est une réalité abstraite, qu’elle a découverte bien plus tard, à l’âge adulte, ses parents ayant toujours refusé de parler de la guerre. « La République socialiste soviétique de Géorgie n’avait presque pas été touchée par le conflit, explique-t-elle. C’était un peu le paradis. Il faisait beau et chaud, il y avait du vin, des fruits, les gens étaient gentils. L’URSS avait créé la mythologie d’un futur idéal et on avait fini par y croire. Pour l’enfant que j’étais, l’avenir ne pouvait être que magnifique et heureux. »
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